A l’Estaque, siège du DRASSM, nous sommes accueillis par le commandant de l’André Malraux, Christian PERON. Son regard franc et sa bienveillance dévoilent un homme qui est là où il doit être, partageant ses expériences avec générosité. Son navire est le successeur de L’Archéonaute, celui-là même qui fut missionné pour authentifier et sécuriser le site de la grotte Cosquer. Michel L’HOUR nous rejoint. Conservateur général du Patrimoine, archéologue sous-marin, directeur du DRASSM depuis 15 ans où il est entré en 1982, sa simplicité révèle un homme passionné qui semble encore tout étonné d’avoir eu la chance de vivre une vie d’aventures et de surprises. Très vite dénommé l’archéologue aux pieds palmés, il s’est approprié cette formule journalistique pour définir les nombreuses missions qu’il a menées avec ses équipes.
Quelle est l’histoire du DRASSM ?
Michel L’HOUR
" La première grande fouille sous-marine au monde s’est effectuée dans les années 50, en rade de Marseille sur le site du grand Congloué. Lorsque André Malraux décida de créer un service dépendant du Ministère de la Culture, il l’implanta très naturellement à Marseille en 1966. Visionnaire, il confia à ce service des missions pour préserver et répertorier le patrimoine immergé de l’humanité. Désormais ce sont les archéologues qui plongent et non des plongeurs qui font de l’archéologie. Nous avons été établis au fort Saint-Jean jusqu’en 2008 mais le fort devait être restauré dans la perspective de l’année 2013 qui imposait Marseille comme capitale européenne de la culture, nous avons ainsi été amenés à déménager. Rester en bord de mer était crucial pour nos activités, nous sommes donc devenus Estaquéens et internationaux par notre fonction. "
Quelles sont les missions du DRASSM ?
Michel L’HOUR
" Plongeurs amateurs ou professionnels, sites industriels, ou missions de reconnaissances hydrographiques, si une découverte est faite sous l’eau, la loi fait obligation de la déclarer dans les 48h de la découverte ou du retour au port auprès des autorités maritimes qui en avisent le DRASSM et ce sur tout le périmètre du territoire français sous-marin ou subaquatique.
Lorsqu’une épave est déclarée, nous procédons toujours de la même manière : nous vérifions l’environnement et l’accès au site et nous programmons une opération d’expertise. Cette opération « in situ » missionne des archéologues-plongeurs ou un robot pour déterminer la nature du site, sa chronologie, l’état de conservation des vestiges, etc.. Puis, nous déterminons s’il est opportun de revenir sur le site, comment le protéger. Une fois ces conditions établies, nous définissons éventuellement quels moyens seraient nécessaires pour le préserver au mieux ou pour l’étudier de manière exhaustive. Nous préconisons soit de :
- « Cocooner » le site, c’est-à-dire de le laisser en l’état pour sa préservation
- Faire une étude approfondie
- Faire une fouille méthodique et systématique.
Il existe une vaste diversité de sites et une grande disparité chronologique : de la grotte Cosquer à l’avion de Saint Exupéry ou à la recherche des restes de pilotes américains de la seconde guerre mondiale."
Les principales missions du DRASSM, en bref
Les missions consistent à explorer, protéger, étudier et valoriser les archives englouties de l’humanité. Mais, le cœur de métier du DRASSM est de dresser la carte archéologique de l’ensemble des eaux sous juridiction française. « Il contrôle un espace maritime aux dimensions planétaires : 11 millions de km2 de zone économique exclusive, de l’Atlantique au Pacifique et de l’Indien à la Méditerranée ». Très vaste, la France est en effet le deuxième propriétaire d’espace maritime au monde après les USA et avant l’Australie.
Le DRASSM et Cosquer
Michel L’HOUR
" A mes débuts, les préhistoriens français étaient déjà très expérimentés en recherche sous-marine. Ils ont été les précurseurs de l’archéologie préhistorique sous-marine, et la France, par leur expertise, a été le pays qui a montré la voie dans ce domaine.
La découverte
" A la suite du drame des trois plongeurs qui périrent dans le boyau qui mène à la grotte, Cosquer a souhaité déclarer sa découverte au DRASSM. De nombreux préhistoriens avaient déjà démontré que dans les grottes de Marseille et Cassis, se trouvaient de nombreux lieux d’occupations préhistoriques immergés. Nous savions donc que de tels sites existaient mais la découverte était d’une telle richesse que ce fut comme si nous avions décroché la lune. Nous avons observé la plus grande confidentialité sur la découverte afin d’en vérifier son authenticité. Le ministère de la culture prévenu, c’est le ministre lui-même qui a annoncé la découverte. Le DRASSM a été chargé de réaliser les premières études dans la grotte et d’authentifier les peintures. Mais si nous sommes des archéologues sous-marins spécialistes de bien des périodes l’équipe du DRASSM ne comptait plus à l’époque de préhistoriens dans ses rangs. Au fort Saint-Jean, nous croisions cependant encore très souvent des spécialistes de la préhistoire comme Robert Brandy et Jean Courtin que le DRASSM a naturellement associés à cette mission puisque ces préhistoriens avaient déjà l’expérience des recherches archéologiques sous-marines. Jean Clottes nous a rejoint plus tard. Le DRASSM a mené les premières expertises et nous avons très vite décidé qu’il valait mieux laisser les préhistoriens mobiliser leurs propres compétences pour poursuivre l’étude. Le DRASSM a ainsi joué son rôle de la découverte à la vérification du site et a passé le relais à des spécialistes de la période. "
La réplique
" Il fallait concilier une volonté scientifique, politique et financière et il n’est pas toujours simple de réunir les trois. Lorsqu’on m’a contacté pour faire partie du comité scientifique, j’ai hésité puis j’ai décidé de participer à l’aventure pour porter un regard candide et apporter ma contribution sur l’archéologie sous-marine, car comme beaucoup d’entre nous je souhaite découvrir la grotte. Mais je ne l’ai pas visitée moi-même au moment de la découverte car ma présence n’aurait eu aucune valeur ajoutée. N’étant pas préhistorien, j’aurais contribué à ajouter un peu de carbone personnel dans ce lieu à préserver. En revanche, au vu de la qualité des répliques réalisées de nos jours, je veux bien jouer le rôle du touriste exigeant. Je m’active pour que ce projet aboutisse car il est essentiel que le grand public puisse visiter ce site sans le menacer. La réplique est la seule solution. "
Le DRASSM est considéré comme le fleuron international de la recherche archéologique sous-marine, pourquoi ?
Michel L’HOUR :
Une recherche à la pointe de la technologie
" Nos navires de recherches archéologiques sont des concentrés de technologies. Ils disposent de tout ce dont nous avons besoin en termes de recherches océanographiques, hydrographiques ou archéologiques. Nos recherches s’effectuent également par le biais de campagnes de détection électronique. En effet, grâce à nos sonars multifaisceaux, sonars à bandes latérales et magnétomètres, nous parvenons à localiser sur le fond de la mer les anomalies et les masses métalliques qui peuvent signer la présence d’un site archéologique immergé. "
L’archéologie des Abysses
" Le DRASSM a développé à partir de 2007 un programme d’archéologie des Abysses qui est aujourd’hui très développé. Nous travaillons en partenariat avec le laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier (LIRMM) et le Stanford Robotics Lab de l’Université Stanford qui a développé un robot humanoïde plongeur (avatar d’archéologue sous-marin). Ces technologies produisent des outils développés pour nos besoins spécifiques. Nos robots prennent des photos, aspirent des sédiments, saisissent des objets, comme le ferait un plongeur sans se soucier de la pression. De plus l’André Malraux est équipé pour transporter un submersible habité. "
Pourquoi parle-t-on d’archéologie sous-marine et subaquatique ?
Deux départements ont fusionné, l’un s’occupait des sites archéologiques dans le monde des eaux douces, fleuves, lacs, rivières, grottes ennoyées…, l’autre, celui de l’archéologie sous-marine, océans et mers.
Comment voyiez-vous l’avenir de l’archéologie sous-marine ?
Michel L’HOUR
" Je pense que les futures grandes découvertes de l’archéologie se feront sous l’eau. La spécificité méditerranéenne réside dans le fait que les zones d’occupation au paléolithique où les hommes de cette période ont vécu, se trouvent dorénavant sous l’eau car le fond était 120 mètres plus bas qu’aujourd’hui. La mer a un avantage, elle préserve et un inconvénient, c’est que dans sa préservation, elle détruit partiellement, voire efface ou recouvre. Sur des sites comme celui de la grotte Cosquer où les témoignages apparaissent sous des formes très ténues, nous sommes encore très mal équipés pour les repérer. Pour les trouver, il faudrait entreprendre des analyses méthodiques et systématiques sur toute la bande côtière jusqu’au niveau de la mer d’autrefois. Ces campagnes sont longues et très coûteuses, des raisons qui entravent leur programmation. Mais le DRASSM continue de s’intéresser à ces aspects.
En archéologie, nous étudions le temps. Dans les décennies ou siècles à venir, on peut supposer que l’homme développera des technologies qui nous permettront de mener ces campagnes. Les témoignages matériels immergés du passé de l’humanité couvrent un champ chronologique immense, depuis la préhistoire la plus reculée jusqu’à aujourd’hui. Or, tout ce que l’homme a produit a forcément circulé à un moment donné sur l’eau et disparu sous l’eau. Le potentiel des découvertes est donc gigantesque. Le fond des mers est notre réserve de musée. Si ce patrimoine était dégradé ou volé, ce fonds culturel crucial serait perdu à jamais. Notre défi est de protéger et gérer ce patrimoine sous-marin sur le long terme. Nous pouvons à tout moment découvrir une épave ou un site extraordinaire. C’est ce qui me passionne dans mon métier. "
Propos recueillis par Béatrice MICHEL
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