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©Jacques Collina Girard
Culture |

Les révélations de la Grotte Cosquer

Mis à jour le 26 janvier 2021

Plus de 30 ans après sa découverte, nous pourrons enfin découvrir en juin 2022 ce trésor englouti. En attendant, nous vous proposons de compter ensemble les mois qui nous séparent encore du moment où la reconstitution de la célèbre Grotte Cosquer sortira de mer ! Premier épisode à la rencontre de Jacques COLLINA-GIRARD, préhistorien, géologue et président du Comité scientifique pour ce projet de reconstitution de la Grotte Cosquer.

Les débuts du projet

La Villa Méditerranée, propriété de la Région Sud, peinait à trouver sa vocation. Aussi, en octobre 2019, l’Assemblée plénière régionale votait en faveur d’un projet concernant à la fois la reconstitution de la Grotte Cosquer et la création du « Centre d’interprétation archéologique-Grotte Cosquer » au sein de la Villa Méditerranée. Un choix qui s’inscrit dans une continuité de service public et d’intérêt général. La Région Sud associée à l’Etat (Ministère de la Culture), propriétaire de la Grotte Cosquer, a ainsi opté pour restituer au public à la fois la Villa Méditerranée en lui donnant une nouvelle vocation culturelle et une reconstitution de la Grotte Cosquer ouverte à tous. Un projet d’envergure internationale.  

Petit rappel

Cette découverte faite par le plongeur, Henri Cosquer, recule encore l’histoire de Marseille, la ville la plus vieille de France, de 27 000 ans. Sur les 42 km de côte de la commune de Marseille, nos ancêtres ont laissé des traces de nos origines, de notre passé commun qui vont nous permettre de comprendre notre monde actuel et futur. Ainsi, à travers la représentation artistique de leur environnement réel et onirique, ils nous ont laissé un témoignage à la fois artistique et scientifique. Ces œuvres laissées par nos anciens préhistoriques racontent l’histoire de l’Homme et celle de la Terre.

Rencontre avec le préhistorien, géologue et président du Comité scientifique du projet de la reconstitution de la Grotte Cosquer, Jacques COLLINA-GIRARD

Vous avez participé aux missions scientifiques de la grotte et avez découvert la grotte dans son environnement, qu’en avez-vous retenu ?

Cosquer avait déjà exploré le siphon en 85, mais n’avait pu poursuivre car il était dépourvu d’éclairage et d’air comprimé suffisant.  Il y serait retourné à l’été 91 et pris des photos des dessins et peintures. En septembre 91, après l’accident où deux plongeurs trouvent la mort dans le siphon, Cosquer décide de déclarer sa découverte au DRASSM (département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines). Le Ministère de la culture ne le prend pas au sérieux. Il n’a d’ailleurs aucun formulaire adéquat car les découvertes subaquatiques concernent généralement des épaves grecques ou romaines et non préhistoriques.

Il contacte alors Jean Courtin, préhistorien, par ailleurs plongeur, afin de réaliser une expertise de la grotte en octobre 1991. Pour lui, il n’y a aucun doute, il s’agit bien d’une grotte préhistorique. L’analyse des charbons prélevés sur le site au carbone 14 atteste très vite de l’authenticité de la découverte. 

Seule grotte de ce type signalée sur le littoral méditerranéen, le Ministère met en doute la découverte, allant jusqu’à prétendre que Cosquer aurait potentiellement réalisé les dessins. Or, compte tenu de l’ampleur de l’iconographie découverte et du site subaquatique très difficile d’accès, la falsification s’avère improbable. Mais à l’éclairage des analyses faites, les critiques se tarissent et le Ministère reconnait l’authenticité de la découverte. Il décide alors la mise en œuvre d’une mission de recherche.

Que recèle la Grotte Cosquer de si spécifique qui constitue son immense intérêt patrimonial pour l’humanité ?

La Grotte Cosquer s’avère être la seule grotte ornée, partiellement submergée. Dans la région, il existe très peu de sites archéologiques de cette période.  Nous avons découvert un site à Carry-le-Rouet, mais il recélait très peu d’éléments.

La préhistoire ne nous a laissé que des traces et nous les découvrons au hasard de la conservation des sites. Par contre, ce n’est pas parce que nous ne trouvons rien, que personne ne vivait sur cette zone durant cette période. Malheureusement très peu de choses subsistent. De plus tous les littoraux ont été engloutis par la mer.

Les grottes ornées n’étaient généralement pas habitées, elles correspondaient sans doute à la pratique et l’expression de mythologies mais nous n’avons retrouvé que très peu de matériels archéologiques qui attesteraient de leurs utilisations en termes d’habitats (os d’animaux, silex, etc…).  De plus les grottes ornées se révèlent profondes et effrayantes. Il faut imaginer les personnes de cette époque s’aventurer à l’intérieur de l’inconnu avec des torches. A mon sens, il fallait des motivations extrêmement fortes. Dans certaines grottes de l'Ardèche, près de Chauvet, nous avons constaté que les hommes du paléolithique s’étaient engagés dans des grottes, très sombres jusqu’à 13 km.

L’attraction et le défaut de la préhistoire résident dans le fait que nous ne savons finalement que très peu de choses.

Pourquoi n’a-t-elle pas eu la même audience que la Grotte Chauvet ?

Découverte en Ardèche, en 94, Chauvet est un site magnifique et très spectaculaire. De plus, il est plus facile d’accès, donc les études et les relevés plus aisés à réaliser que dans les conditions difficiles de la Grotte Cosquer.

Pour accéder à cette dernière, il faut emprunter un boyau contenant beaucoup de vases avec une visibilité quasi-nulle. Ce qui nécessite de bonnes conditions physiques et des équipement appropriés, ce qui n’est pas le cas au cœur de l'Ardèche.

Quels enseignements peut-on tirer de cette découverte ?

Cela nous donne des renseignements sur l’art préhistorique, par ses peintures, ses gravures et ses dessins mais ne nous donne pas d’indications directes sur leurs pensées. Il nous est tout à fait impossible de se mettre dans la tête des personnes de cette époque. Les interprétations des préhistoriens en disent plus long sur la psychologie du préhistorien lui-même que sur l’art pariétal.

Par l’observation des signes géométriques qui apparaissent dans bon nombre de grottes ainsi que des mains et des représentations essentiellement animales, nous pouvons seulement affirmer que ça avait un sens pour les gens de cette époque, probablement une signification sur leur mythologie ou leur représentation du monde. Mais nous n’en connaissons pas la signification.

Les représentations de pingouins, de phoques, bisons, bouquetins, nous donnent des indications sur l’écosystème de l’époque. Nous le situons en période glaciaire vers 18 000 ans BP*, mais la grotte a été fréquentée dès 33 000 ans BP*

*Before present (en français la formulation est AP, avant le présent).

Lorsque vous avez appris l’initiative de la Région Sud pour cette reconstitution et son centre de recherche, quelle a été votre réaction et celle de la communauté scientifique concernée ?

La grotte est fragile et il fallait pallier les risques de détériorations apportées par les incursions des équipes dans la grotte. Réaliser une réplique a tout de suite été évoqué pour préserver ce site exceptionnel et EDF avait même scanné des peintures. Depuis, la technique a considérablement évolué et face au succès public des répliques d’autres sites comme Lascaux ou Chauvet, les hommes politiques ont été sensibilisés. D’autre part, la Villa Méditerranée n’avait pas de fonction bien définie et la Région, propriétaire du lieu, a initié ce projet et décidé d’allouer des crédits pour cette reconstitution dans le cadre d’une délégation de service public, en collaboration avec le Ministère de la Culture.

C’est également une bonne nouvelle pour le grand public qui pourra enfin accéder aux richesses artistiques de la grotte. Pour les scientifiques, il s’agit d’une sécurisation de ce patrimoine paléolithique ainsi qu’une sauvegarde informatique dans les moindres détails. Le Ministère de la Culture poursuit actuellement des campagnes d’exploration de la grotte.

Existe-il une incidence du réchauffement climatique sur l’urgence de la sauvegarde de la Grotte Cosquer ?

La glaciation s’est terminée il y a 12 000 ans BP. La fonte des glaces a provoqué une remontée spectaculaire du niveau de la mer.

Nous sommes à présent en période interglaciaire. On le sait via les carottes océaniques ou glaciaires qui nous donnent une vision sur 800 000 ans BP. Les changements météorologiques récents avec prédominance des courants de sud-est ont fait légèrement remonter le niveau de l’eau dans la grotte. Elle atteint à présent « le panneau des petits chevaux » (peinture dans la Grotte Cosquer).

De plus, les modèles climatiques doivent tenir compte de l’incidence des activités humaines qui accélère le réchauffement climatique naturel.

En quoi consiste le rôle du comité scientifique ?

Le comité scientifique, composé de nombreux scientifiques détient un rôle consultatif. Il a notamment donné son avis dans le choix de la société Kléber-Rossillon, dotée de l’expérience de la réplique de la Grotte Chauvet.

Notre rôle consiste à contrôler les reproductions des artistes qui réalisent la réplique, car aucun d’entre eux n’a vu la véritable grotte. Il nous revient de leur transmettre l’atmosphère que nous avons perçu au cœur de la grotte, les brillances ou les effets des peintures. Le comité scientifique exerce également une veille sur l’ensemble du contenu scientifique du projet.

En tant que géologue pouvez-vous nous décrire le paysage de cette époque ?

Dans la région, la mer était à environ 13 km de Marseille et 5 km de Cassis. Tous les sites ont été recouverts par les eaux car la mer se trouvait 135 mètres plus bas.A l’époque, c’était un plateau continental, karstique (spécifique au calcaire). Des cuvettes existaient lorsque le plateau était à l’air libre et constituaient des mares ou lacs temporaires, depuis sous l’eau. Entre le Frioul et Carry le Rouet, il y a une grande dépression à fond plat. Sous l’eau il y a des talus, on a d’ailleurs effectué des carottages et nous avons remonté des fossiles de moules. Ce qui indique qu’il y a 14 000 ans BP, nous avions encore un rivage qui se trouve aujourd’hui à 100 mètres de fond. Par exemple, les iles de Riou étaient reliées à la côte. Par le prélèvement d’algues qui ne s’implantent que sur les rivages, nous savons qu’il y a 10 000 ans la mer était encore à 55 m de fond.

La physionomie du littoral était totalement différente d’aujourd’hui, sur ces plateaux, il faut imaginer des bisons et des chevaux qui venaient s’abreuver à ces mares temporaires et évoluaient sur les plateaux. Les bouquetins, plus à l’aise sur des terrains accidentés, vivaient dans les calanques et étaient probablement chassés par les contemporains de la Grotte Cosquer. C’était un paysage froid balayé par les vents, un vent froid qu’on pourrait qualifier de paléo-mistral. La végétation existante à cette époque a pu être identifiée grâce à des prélèvements de pollen. C’étaient des pins sylvestres qui poussent actuellement à 1000 mètres d’altitude et pour les pollens de graminées indiquent une végétation de steppe.

La curiosité des origines est-elle le propre de Sapiens ?

Comment le savoir ? On peut supposer que l’étonnement d’être au monde a dû apparaitre bien avant… avec les questions qui vont avec. Nous avons certainement les mêmes interrogations, car ils étaient comme nous.

La catastrophe de la fin de la glaciation marque la disparition du gros gibier. La fin du paléolithique laisse place (pour simplifier) au néolithique, où l’homme est tel qu’il est devenu aujourd’hui. La sédentarité apparait, le stockage des denrées, l’agriculture l’expansion démographique et la violence. Comme les bushmen, les indiens d’Amérique, nous sommes passés d’une relation symbiotique avec la nature à une autre où l’homme exploite la nature pour le profit. Une rupture avec la mère nature (comme la représentation des Vénus paléolithiques) à des représentations plus guerrières plus phalliques (comme l’affirme Jacques Cauvin*) et un passage du symbole maternel à des symboles plus virils.

*Rf :  Naissance des divinités, naissance de l'agriculture : La révolution des symboles au Néolithique écrit par Jacques Cauvin(Flammarion Collection Champs Essais)

 

Rappel de la Convention cadre entre l’Etat et la Région

L’Etat, propriétaire de la Grotte Cosquer et de la documentation infographique et photographique, souhaitait valoriser et rendre accessible au plus grand nombre le patrimoine archéologique dans le respect des acquis scientifiques

Une convention cadre entre la Région et l’Etat, votée en juin 2018, a permis à la collectivité de disposer des droits relatifs à la reproduction de la Grotte Cosquer et de ses œuvres pariétales, et à l’Etat le contenu scientifique du projet.

Mis à jour le 24 juillet 2024