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Culture, Particulier

Tiago Rodrigues : « le festival d’Avignon est une partition »

Mis à jour le 13 juillet 2023

Public emballé, hôtels surbookés : le festival bat son plein dans les rues d’Avignon. Cette édition triomphale est une première pour son nouveau directeur, Tiago Rodrigues. Dans l’intimité de son bureau, il dévoile sa vision du festival et de l’écosystème culturel du territoire.

Qu’est-ce que ce festival représente pour vous ?

Avant d’en être le directeur, j'avais eu la chance de découvrir le festival en tant que spectateur, mais aussi en tant qu'artiste invité. C'était le coup de foudre, je suis tombé amoureux du festival et de son public. Ma première fois en tant qu'artiste c’était en 2015, avec le spectacle Antoine et Cléopâtre. Je suis revenu avec une autre création, Sopro, grâce à l’aide de la Région d’ailleurs, via le dispositif ExtraPôle, qui a permis à ce spectacle de tourner dans plusieurs théâtres du territoire. Mon attachement au festival vient aussi de là.

En région Sud, le spectacle vivant bouillonne et le Festival d’Avignon en est l’incarnation. Quel regard portez-vous sur la création ?

Le Festival d'Avignon, en étant l’un des plus grands festivals d'art vivant du monde et notamment de France, est accompagné dans un écosystème culturel très fort, qui vit toute l’année.  Il y a un esprit de coopération entre les partenaires, qui bénéficie à tous ces acteurs mais aussi au public. Nous avons le plaisir de présenter des spectacles qui sont produits ou coproduits par d'autres théâtres et festivals de la région. Nous abandonnons un peu l’obsession qu’on voyait ces dernières années dans les grands festivals européens pour l'exclusivité, la première mondiale. On est ravis, par exemple, de présenter Bintou Dembélé, que l’on a vu au Festival de Marseille. Et je pense que cette circulation, elle est au bénéfice de la population du territoire mais aussi des visiteurs qui viennent autant pour cette programmation que pour les paysages, l’architecture, la gastronomie. C’est très important, j’ai le plaisir de le découvrir moi-même et de le faire découvrir.

La programmation va permettre au public de venir trouver ce qu’il cherche et de découvrir ce qu’il ne savait pas encore qu’il cherchait.

Vous signez pour la première fois la programmation du festival. Qu’est-ce qui change avec vous et qu’avez-vous voulu transmettre ?

Le Festival d'Avignon est une partition. C’est une histoire qui s’écrit depuis 1947 et qui est très importante pour le théâtre et pour les arts vivants au sens large, pour la danse, pour la performance, pour le cirque. Interpréter aujourd'hui cette partition, c'est faire le choix d’être en contact avec le passé, avec un code génétique très riche, et en même temps avoir le meilleur outil pour inventer l'avenir. C'est vraiment comme au théâtre : on interprète, on apprend par cœur un texte que quelqu'un a écrit avant nous, parce qu’on trouve qu’il exprime peut-être mieux que nos propres mots ce qu'on a à dire. Mais en le disant, on écrit le sens. Et je pense que la grande aventure, c'est d'imaginer le sens de cette partition. Par exemple, comment pratiquer une énorme qualité et pluralité des propositions esthétiques des spectacles qui sont présentés, mais en même temps, interpréter cette utopie de théâtre populaire en rendant accessible démocratiquement au plus grand nombre ces propositions de grande qualité. Et ça, c'est tout l'enjeu. C'est ce qu'on essaie d'interpréter de diverses manières par le programme artistique, notamment en mélangeant des grands noms qui retournent à Avignon, comme Mathilde Monnier ou Anne Teresa De Keersmaeker ou d'autres habitués du festival comme Julien Gosselin ou Philip Kayne, mais aussi en invitant par exemple deux tiers des artistes qui viendront pour la première fois à Avignon. Ça va permettre au public de venir trouver ce qu’il cherche et de découvrir ce qu’il ne savait pas encore qu’il cherchait.

Première fois, c’est d’ailleurs le nom d’un dispositif qui va permettre à 5 000 jeunes de découvrir le festival.

Le Festival d'Avignon est une porte d'entrée pour découvrir les arts vivants. Habituellement, 15 % de notre public vient pour la première fois, c'est un festival déjà très ouvert. Par rapport à la jeunesse, c'est important d’effectuer un travail encore plus profond. Nous travaillons avec des milliers de jeunes pendant toute l'année, mais au moment du festival, c'était important pour nous d'inventer encore un projet. Il est fait pour les jeunes de 13 à 19 ans qui pensent que le festival n’est pas fait pour eux. Ils ont le droit de se sentir à l'aise dans ce festival, au même titre que les habitués qui viennent toutes les années et qu'on respecte, qu'on admire. Ces habitués sont d'ailleurs les premiers à penser qu’il faut faire venir plus de jeunes. On s'est organisé avec plusieurs partenaires dont la Région, avec plusieurs associations et fondations, d'autres théâtres et d’autres festivals pour faire venir des groupes de jeunes de toute la France. On a créé une nouvelle équipe avec des médiatrices et des médiateurs, plutôt jeunes eux aussi, qui vont les amener voir des spectacles, rencontrer les artistes, faire des activités de médiation. Ce qui est très important, c’est d’avoir un espace public de parole sur le festival. L’idée c’est de répondre à toutes les questions qu’ils peuvent se poser, même si c’est « est-ce que je peux entrer en baskets dans la cour d’honneur ? » Oui, même le directeur est en baskets ! Ça poursuit la fameuse partition, que Jean Vilar a commencé à écrire quand il souhaitait que des gens très différents aient une expérience partagée en regardant un même spectacle.

Avignon, c’est aussi un bouillonnement professionnel qui se matérialise au travers des rencontres. Pourriez-vous nous en dire deux mots ?

Le Festival d'Avignon, historiquement, est un lieu de rencontre du secteur culturel et des arts vivants, pas seulement français, mais européen et international. C'est peut-être le festival qui concentre le plus de professionnels de ce secteur au monde. Il y a plein de découvertes professionnelles, de débats qui se font. C'est vraiment un forum modélisant qui change chaque année les grands paris, les grands chantiers du secteur culturel en France et ailleurs. Ils pourront se rencontrer, notamment à la Maison des professionnels que nous organisons avec l’ISTS ou au Café des idées auquel la Région Sud participe. Le festival, sans devenir un marché dans le pire sens du mot, est un levier d'internationalisation de la création française, qui donne à voir son immense richesse.

Mis à jour le 24 juillet 2024