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Grotte Cosquer: Jean Clottes, le gentleman préhistorien !

Mis à jour le 31 août 2022

Jean Clottes et Jean Courtin incarnent le duo de scientifiques qui a réalisé les seules recherches ayant fait l’objet de publications scientifiques sur la grotte Cosquer à ce jour. Une nouvelle phase de recherches se met en place actuellement.

Depuis 2019, nous partageons avec vous l’aventure Cosquer en donnant la parole aux plus grands archéologues et préhistoriens, mais également à ceux qui ont œuvré pour réaliser une réplique de grande qualité que vous allez découvrir dès le 4 juin prochain.

Le premier de notre série en 2019 a été l’archéologue et préhistorien Jean Courtin. A quelques jours de l’ouverture de la réplique, nous avons contacté son alter-ego dans l’aventure, Jean Clottes.

Jean Clottes fut tour à tour professeur d’anglais à Foix, professeur de français à Sheffield en Angleterre, historien d’art et préhistorien. Ce dernier métier lui a été insufflé très tôt par son père, qui l’initia à la spéléologie. Enfant, il s’amusait à essayer de deviner à quelle époque tel ou tel tesson de poterie découvert pouvait bien appartenir.

Ancien conservateur général du Patrimoine au Ministère de la Culture où il fut conseiller scientifique reconnu sur l'art préhistorique, pour Cosquer, il devint même plongeur professionnel. Du haut de ses 89 printemps, le malicieux Jean Clottes a eu la gentillesse de partager ses souvenirs avec nous pour vous les conter.

Comment avez-vous vécu la découverte de la grotte Cosquer ?

J’ai appris l’existence de la grotte alors que j’étais au Ministère de la culture, trois jours après le drame où trois plongeurs avaient trouvé la mort dans le conduit qui y menait. Nous avons alors appris qu’il s’agissait d’une grotte ornée.

La présence d’art pariétal dans la grotte nous a tous interrogés au ministère et pour découvrir ce qu’il en était, il nous fallait envoyer un expert, un scientifique sérieux. N’étant pas plongeur et connaissant bien Jean Courtin, je lui ai demandé s’il voulait bien s’y rendre. Il a accepté et 10 jours plus tard, il plongeait dans la grotte. Il nous a très vite affirmé qu’il s’agissait d’une découverte importante et a attesté de l’authenticité des œuvres, en attendant les analyses.

Nous avons alors décidé de tenir l’existence de la grotte secrète, de ne pas révéler qu’il s’agissait d’une grotte ornée afin, d’une part d’éviter les accidents et d’autre part de préserver le site de toute pollution pour les recherches à venir. Mais il y eut une fuite dans la presse et la découverte fut éventée. Le téléphone n’arrêtait pas de sonner et Jack Lang, ministre de la culture à ce moment-là, fut dans l’obligation d’annoncer officiellement par voie de presse, la découverte de la grotte.

Les découvertes dans la grotte ont-elles été controversées ?

Oui, il y a eu des polémiques sur l’authenticité de la grotte. Henri Cosquer avait envoyé une demi-douzaine de photos au ministère au moment de sa déclaration aux autorités. Et ce que j’ai pu observer me paraissait très crédible, tant par les dessins eux-mêmes que par les dépôts de calcite sur la paroi. Les animaux représentés m’ont paru être une véritable découverte, surtout dans ce secteur, mais il fallait vérifier sur place. Jean Courtin était la personne tout indiquée dans ce genre de situation. Il a plongé dans la grotte et a réalisé d’autres photos. Son expertise a entériné mes premières impressions. Pour nous, ça ne faisait presque pas de doute.

Nous sommes comme des spécialistes en peinture qui peuvent voir assez rapidement si un Van Gogh est vrai ou faux. Nous détectons assez rapidement si les éléments concordent, mais bien sûr, il faut toujours vérifier et analyser. Les vérifications portent sur l’analyse technique du dessin et sur la datation au carbone 14. Nous prélevons dans une fissure du dessin un peu de pigment incrusté et nous passons ces fragments à l’analyse.  

J’ai été à plusieurs reprises confronté à des faux. Je me souviens notamment d’une grotte dans la pays basque espagnol qui présentait de remarquables dessins et gravures mais ce qui m’a mis en alerte, c’est l’impression d’avoir sous les yeux une revue d’art paléolithique très bien exécutée. On en dénombrait trop et de plusieurs époques différentes ! J’ai tout de suite douté et les analyses ont confirmé la falsification. Pour la grotte Cosquer ce n’était absolument pas le cas.

Comment avez-vous réalisé les recherches sur la grotte Cosquer ?

Pour une découverte de la sorte, il existe trois niveaux d’études :

Le premier nous permet de recenser les œuvres et d’effectuer une description précise de chaque dessin et de la morphologie globale de la grotte. Nous prenons des photos pour appuyer le propos.

Le second niveau nécessite plus de temps, car nous creusons un peu plus et nous essayons de voir au-delà du visible en apposant des lumières particulières qui permettent de faire ressortir des œuvres un peu effacées ou invisibles à l’œil nu.

Avec Jean Courtin, nous avons réalisé deux recherches d’étude et d’analyse à la demande du Ministère de la Culture sur Cosquer à ce jour. Il reste la troisième étape en cours qui concerne les relevés. Une étape très importante qui approfondit les résultats des premières recherches et qui nécessite beaucoup de temps. Pour vous donner un ordre d’idée, ce troisième stade de recherche dure depuis 25 ans pour la grotte Chauvet. Le temps vous semble long entre les différentes étapes, mais ces peintures datent de plusieurs milliers d’années, elles peuvent bien attendre quelques années de plus. Ce troisième niveau de recherche sera pris en main par l’archéologue préhistorien Cyril Montoya qui devrait commencer cette troisième phase cette année.

Ce travail n’a pas été fait dans la grotte Cosquer car son accès reste conditionné à un niveau de plongée conséquent. Il faut être plongeur habilité pour s’y rendre. Elle demeure très difficile d’accès et une grille a été posée à l’entrée du tunnel par mesure de sécurité.

Avec cette difficulté d’accès, comment avez-vous fait pour vous y rendre et procéder aux recherches ?

J’ai dû apprendre à plonger pour la circonstance, grâce à Jean Courtin. Mais je n’ai pas pu m’y rendre tout de suite car entretemps, la grotte Chauvet avait été découverte et j’avais la charge de son expertise. En 2002, lorsque j’ai laissé la direction de Chauvet à Jean-Michel Geneste, Jean Courtin m’a dit : « maintenant, tu dois apprendre à plonger ! ». C’est ce que j’ai fait et je suis même devenu plongeur professionnel, malgré le fait que j’avais largement dépassé la limite d’âge. J’ai fait beaucoup de spéléologie dans ma vie, mais pas de plongée. J’ai appris, et les mesures de sécurité imposaient qu’il y ait un plongeur devant moi et un autre derrière moi.

Durant deux années, j’ai effectué 48 plongées et passé 24 jours dans la grotte et nous avons pu l’étudier méthodiquement.

L’équipe était composée de Jean Courtin et moi-même pour les recherches et de Luc Vanrell qui s’occupait de tous les aspects techniques des plongées. Nous avons d’ailleurs co-signé tous les trois un ouvrage : « Cosquer redécouvert » en 2005 aux Editions du Seuil.

 

Qu’est-ce que Cosquer a de particulier à vos yeux ?

La spécificité de Cosquer repose d’abord sur sa localisation. Il n’y a en effet, pas beaucoup de grottes ornées en Provence. Le second point, elle est aux ¾ immergée par la mer depuis la dernière glaciation. Le rivage était alors loin de la grotte, nous avons donc perdu beaucoup de représentations et celles qui restent sont celles dessinées et gravées en hauteur. A présent que la mer remonte, des peintures vont être noyées, la réplique sera une sauvegarde. Les deux spécialistes qui ont travaillé sur la réplique, Alain Dalis et Gilles Tosello, sont d’excellents techniciens et sont remarquables dans leurs domaines, ils ont certainement réalisé quelque chose de très bien. Ils ont par ailleurs travaillé sur Chauvet 2.

Mon espoir pour l’avenir de la grotte Cosquer, c’est que les recherches que nous avons entreprises soient poursuivies pour parvenir à une étude complète de ce remarquable témoignage du passé.

Jean Courtin sera peut-être à l’inauguration, pour ma part, à 89 ans, j’ai arrêté de voyager, mais souhaite vivement que les recherches aboutissent.

Propos recueillis par Béatrice MICHEL

Merci Monsieur Jean Clottes, merci Monsieur Jean Courtin, sans votre audace, votre expertise et votre transmission de données d’études et d’analyses primordiales de la grotte Cosquer, rien n’aurait été possible.

Mis à jour le 24 juillet 2024