Pouvez-vous nous raconter le pari fou du porte-à-faux de ce bâtiment qui accueillera l’exposition et le centre archéologique ?
C’est vrai qu’il s’agissait d’un pari fou, on l’a oublié. Une fois que le bâtiment existe, on oublie les études et les questionnements antérieurs, mais ce fut une prouesse. Le bâtiment et sa structure ressemblent d’ailleurs très fidèlement au dessin présenté lors du concours ce qui n’est pas toujours le cas. Nous avons souvent entendu, « ce n’est pas possible, c’est de l’esbrouffe et d’autres choses. »
Nous avons eu de la chance d’avoir dans notre équipe Philippe Cœur, un ingénieur qui a dit oui, c’est possible. Nous avons pu édifier ensemble quelque chose qui ne l’avait jamais été auparavant. Son expérience et son intuition ont été capitales.
Les soucis et les inquiétudes reposaient sur les éventuels effets vibratoires que l’on pourrait ressentir dans le porte-à-faux car il n’existait aucune référence antérieure sur le sujet des porte-à-faux habités, contrairement aux tours dont on maitrise beaucoup mieux les déformations.
L’autre pari était de faire dialoguer la Méditerranée et le bâtiment, et le fait est qu’une partie du bâtiment est sous l’eau ?
Dans la genèse du projet, la relation entre la Villa et la Méditerranée était centrale. Le défi reposait dans le « comment exprimer cette étroite relation entre le bâtiment et la Méditerranée ? ». Les différents projets répondaient de façon symbolique à cet échange. Nous avions choisi la façon la plus directe de répondre à cette relation avec la Méditerranée. Le bâtiment s’organise autour de l’eau et où que vous soyez dans l’édifice, vous pouvez voir la mer. Les matériaux choisis évoquent également le monde de la mer et des bateaux comme les coques métalliques et le bois des navires.
Comment procède-t-on pour construire sous l’eau ?
A l’époque, du J4 au fort Saint Jean, il n’y avait pas d’eau. Nous avons construit avant que la darse qui sépare le fort Saint Jean du J4 ne soit reconstituée. La vraie difficulté résidait dans les volontés politiques pas toujours en accord. La Région souhaitait ce bâtiment mais pas les autres collectivités locales. Ce qui a débloqué les démarches, c’est Marseille 2013, capitale de la culture. Ensuite, ce chantier a dû gérer de grandes difficultés en termes d’emprises et d’approvisionnements, comme la livraison de poutres gigantesques de 30 mètres qui arrivaient par demi-tronçon qui ont notamment bloqué la circulation. La logistique a été très compliquée et la construction du bâtiment très complexe : elle a débuté par le forage des parois moulées qui descendaient jusqu’à -14 mètres, et qui définissaient le grand volume souterrain dans lequel s’inscrivait le projet. L’infrastructure du bâtiment a ensuite été réalisée en béton et à partir de la surface, sa superstructure est en acier.
Que pensez-vous de l’idée de la réplique de la grotte Cosquer pour la Villa Méditerranée ?
Il y a eu plusieurs hypothèses d’utilisation du bâtiment, notamment celle d’un casino, et finalement la plus pertinente était sans conteste la réplique de cette célèbre grotte. Cette construction immergée abritera cette grotte, elle-même immergée. Pour moi c’est cohérent ! On espère que cette configuration très particulière constituera un attrait supplémentaire pour le public, en plus de l’intérêt même de la grotte.
Le rajout de l’eau au cœur de la réplique vous parait-il compliqué ?
C’est très certainement compliqué pour les scénographes, comme pour nous de construire sous l’eau. Le paradoxe c’est, que lors de la construction, nous avons tout fait pour nous protéger de l’eau et aujourd’hui, pour la vraisemblance de la visite, il faut rajouter de l’eau au cœur même de la construction ! Bien sûr il s’agit de scénographie, mais je suis certain que l’effet sera saisissant !
La Villa Méditerranée a soulevé bon nombre de polémiques car elle ne trouvait pas sa vocation. Qu’éprouvez-vous actuellement de la voir trouver cette utilité ?
Effectivement, ce projet a été la source de beaucoup de satisfactions, car nous avons répondu à l’époque à une volonté politique très forte qui attendait un projet ambitieux. Mais ce projet a aussi fait l’objet de très nombreuses critiques. Lorsque le bâtiment a été terminé, tout le monde s’est demandé « à quoi ça sert ? ». Nous avions comme voisin le MUCEM, qui accueillait public et expositions, dont l’utilité n’a jamais été contestée. A côté, la Villa a semblé être soudain affectée de tous les maux ! Des personnes venant des Etats-Unis, d’Asie ou d'autres régions de France me faisaient des louanges de ce bâtiment alors que les gens du coin y paraissaient si hostiles ! C’était le regard des gens après toutes les polémiques parues dans la presse qui, pour les architectes, n’était pas très facile à vivre.
Quels sont aujourd’hui vos espoirs concernant la Villa Méditerranée ?
Quand le public va venir voir la réplique, ce bâtiment va de nouveau rencontrer un succès d’estime et le regard des gens va changer vis-à-vis de lui. C’est mon grand espoir ! Car si l’on construit, c’est pour que les édifices vivent.
D’autant plus que la nouvelle équipe a donné vie à la darse par laquelle le public va arriver. A l’époque, nous avions envisagé de faire venir des bateaux ou de créer une piscine, rien n’a été possible pour des raisons règlementaires. Aussi, je suis heureux que cette darse s’anime et que la Villa Méditerranée reprenne vie.
Propos recueillis par Béatrice Michel